Une question qui revient chaque session : « P-O, comment puis-je agir efficacement sur des muscles profonds ? » La réponse quelque peu naïve que j’entends trop fréquemment : pèse plus fort.
Malheureusement, écraser davantage exige un effort proportionnel à la pression désirée. Et même si tu sus ta vie en travaillant d’arrache-pied, es-tu satisfait du résultat ? Éprouves-tu une facilité à interagir avec les muscles visés ? Si simplement « bulldozer » résolvait cette impasse, la question se répondrait d’elle-même. Il convient donc d’adapter l’angle d’approche.
De ce fait, voici ce que je réponds à mes élèves : je suis paresseux. Non pas dans un sens où je ne désire pas travailler, mais plutôt parce que je préconise la méthode qui me demande le moins d’énergie possible pour obtenir un maximum de résultats. Bref, travailler avec sa tête.
En d’autres mots : souhaites-tu être efficace ?
Emploie la posture et la biomécanique efficaces
Comme tu le sais, ta pression naît de ton transfert de poids. Elle provient du sol, de tes genoux, de tes hanches et de ta ceinture pelvienne. Cependant, bien qu’il soit incontournable de générer adéquatement ton énergie, encore faut-il que tu la canalises efficacement.
En effet, le corps est conçu pour déployer ses efforts d’une position stable, en circuit fermé. C’est la méthode puissante et énergétiquement économique, donc efficace. Elle génère aussi des compensations et des risques de blessures minimales. Voilà la raison pour laquelle tu te fais marteler une posture de travail adéquate dès ton praticien.
Le but poursuivi n’est aucunement de t’irriter le colon. C’est plutôt une question de physique et de biomécanique. Nous, orthothérapeutes, ne sommes pas différents de nos clients. Tout phénomène compensatoire ou instabilité engendre une faille, un circuit ouvert laissant échapper la puissance produite. Tu dois donc compenser ces fuites en travaillant plus fort pour qu’une même quantité d’énergie se rende à destination.
Par exemple, imagine le plus majestueux transfert de poids de l’univers. Appliqué avec un dos recroquevillé, Newton prédit que la force déployée te repoussera vers l’arrière, dans la direction opposée du client. Appliqué avec des épaules instables ? Elles se hisseront pour aller embrasser tes oreilles dès que ton centre de gravité bougera. Des coudes légèrement trop fléchis ? Ils se transformeront en amortisseurs en désirant fléchir davantage dès que tu écraseras au lieu de transmettre la pression au client.
Bref, travailler avec une posture ou biomécanique inadéquate ressemble à ramer dans une chaloupe qui fuit comme une passoire ; colmate tes brèches et tu pourras te concentrer à ramer plutôt que de passer ton temps à vider à la chaudière l’eau qui s’accumule.
Alors, stabilise ton dos, abaisse tes épaules et assure-toi que tes coudes ne se transforment pas en amortisseurs. Maintenant, transfère ton poids. Si tu fermes ton circuit, tu t’assures que l’énergie générée se canalise directement où tu le désires, dans tes mains travaillant sur ton client.
Maintenant que ta pression est produite efficacement, il convient de l’appliquer convenablement.
Emploie l’outil efficace
Es-tu las de te massacrer les pouces ? Les mains ? Les poignets ? Change d’outils ! Tes doigts n’ont pas suffisamment de punch ? Utilise tes pouces ou tes rebords cubitaux. Besoin de quelque chose d’un peu plus robuste ? Migre plutôt vers tes jointures ou tes poings. Mais P-O, la situation requiert quelque chose d’encore plus audacieux ! Hmmm… ambitieux. Excellent. Vas-y à l’avant-bras ou au coude.
Encore une fois, tout est une question de circuit ouvert ou fermé. Un poignet en hyperextension demeure un circuit ouvert ; il sabote tes efforts à appliquer une pression avec ta main. Employer tes jointures ou tes poings te permet d’aligner les poignets avec le restant de tes bras. Bam ! La puissance est véhiculée directement et efficacement d’une articulation à l’autre. Utiliser tes avant-bras ou tes coudes élimine complètement tes poignets de l’équation, te permettant de canaliser la puissance de ton transfert de poids au client sans l’entremise de ta ceinture scapulaire.
De plus, une structure davantage proximale se veut moins… disons… délicate. Elle transmet plus adéquatement ta pression et elle endure mieux le stress que tu lui fais subir.
Néanmoins, tu peux donner libre-cours à tes inspirations tant que tu respectes deux règles :
1- Sois progressif dans ta pression, autant avec tes différentes manœuvres qu’à l’intérieur d’une d’elles ;
2- Migre d’une surface de contact en entonnoir, de large à précise.
Par exemple : si tu désires sortir les gros cannons, utilise d’abord tes mains, ensuite tes poings pour terminer avec tes avant-bras. Si tu nécessites quelque chose de plus précis, plus agressif, évolue de ta main au pouce, de ton poing à la jointure, ou de ton avant-bras au coude.
Malgré tout, la meilleure des pressions déployée convenablement se trouve sabotée par toute résistance rencontrée. Ce qui nous mène à notre prochain point.
Prépare efficacement ton terrain
Pour atteindre facilement les couches musculaires plus profondes, place tes pions. Tu désires chatouiller un piriforme bougon ? Le grand fessier s’interpose sur ton chemin. Tu vises à soulager des multifides grimpés dans des rideaux au niveau du haut thoracique ? Tu devras négocier passage avec l’épineux, les semi-épineux, les longissimus, les splénius, le petit-dentelé postérosupérieur, le rhomboïde et le trapèze. Bien du monde à la messe.
Appliquer brusquement une pression excessive sur des muscles profonds sans passer GO risque d’insulter des muscles davantage superficiels. En brusquant leurs fuseaux neuromusculaires, tu les encourages à contracter, à spasmer en guise de mécanisme de défense. Et dès qu’un de ces muscles décide de ne pas te laisser passer, tu lances par la fenêtre ton impact visé sur le muscle profond. Petit rappel : tu n’es aucunement un bulldozer. Le massage est une négociation.
Dans ce cas, donne un peu d’amour aux muscles superficiels pour t’assurer qu’ils ne soient pas jaloux. Par conséquent, tu ne devras pas jouer du coude à travers leur résistance. Ton travail requerra moins de pression pour un meilleur résultat et ton client réagira mieux à celui-ci. Tout le monde y gagnera.
Néanmoins, si le massage consiste en une négociation avec le corps de ton client, il convient de communiquer avec un langage approprié visant le bon interlocuteur.
Emploie le rythme efficace
Quand tu effectues un massage, avec qui négocies-tu ? Principalement le système nerveux. Tu ne peux atteindre un effet de profondeur avec un rythme rapide. En ralentissant, non seulement ta palpation se trouve accentuée, mais tu laisses aussi le temps au système nerveux de convenablement analyser le stimulus que tu lui envoies. Il peut ensuite adéquatement réagir en engendrant l’effet souhaité.
Par conséquent, si ton rythme compétitionne avec Speedy Gonzales ou le Road Runner, tu t’essouffles inutilement. De plus, quand le système nerveux vient pour analyser l’influx, tu es déjà rendu ailleurs en train de le bombarder de stimuli différents. Également, tu permets aux muscles superficiels de prendre le temps de te laisser passer. Un peu comme couper en deux une livre de beurre endurcie ; tu peux l’assener de coups de machettes ou tu peux passer ton couteau sous l’eau chaude pour couper tranquillement en laissant la chaleur ramollir ton beurre. Une méthode demande bien plus d’effort que l’autre et se veut quelque plus… violente…
Bref, veux-tu agir profondément ? Ralentis.
Mobilise !
Malheureusement, il a été démontré que l’effet mécanique du massage se restreint à un niveau beaucoup plus superficiel que ce que l’on aimerait. Comment péter une balloune.
Effectivement, l’énergie que tu appliques au corps est adroitement absorbée, répartie et dissipée parmi les différentes structures. Plus tu recherches un effet en profondeur et plus le corps imposera une limite à l’effet mécanique de ta pression. À un certain stade, ta sueur versée n’est plus proportionnelle à l’effet encouru. Un tel ratio effort-effet laisse un goût amer chez ma petite personne paresseuse.
Comment surmonter cet obstacle ? Ne désespère pas. Mobilise ! Toutes les fibres musculaires mobilisées doivent s’étirer. Tu t’assures ainsi d’avoir un effet sur l’entièreté du muscle visé, peu importe sa profondeur. Comment éliminer la profondeur de l’équation!
Mais ce n’est pas tout ! Imagine coordonner tout ceci avec le mouvement respiratoire de ton client. Ou encore, imagine mobiliser en insérant une légère touche de relâchement post-isométrique, d’inhibition réciproque ou un pin and stretch. Imagine le résultat, mais surtout, la facilité avec laquelle tu l’obtiendras !
Comme le dit une citation attribuable à Bill Gates : « I choose a lazy person to do a hard job, because a lazy person will find an easy way to do it ».1 Peux-tu travailler comme un bulldozer ? Absolument. Ce n’est pas l’idéal, mais hey, il y a une clientèle pour tout. Cependant, je compare fréquemment l’approche thérapeutique en orthothérapie à être embarré en dehors de chez soi. Pour entrer dans ton domicile, tu peux briser une fenêtre, défoncer la porte à coup de bélier ou même passer à travers un mur avec un bulldozer. Personnellement, j’aime ma vie simple. Il est bien plus facile et efficace d’employer la clé dissimulée sous le paillasson.
Et je suis paresseux.
1. « Je choisis quelqu’un de paresseux pour faire un boulot difficile, car une personne paresseuse trouvera une manière facile de le faire. » Bill Gates
Philippe-Olivier Jasmin, collaborateur AMS
Orthothérapeute clinicien MQ, il œuvre depuis 2007 en clinique multidisciplinaire et en clinique médicale privée. Il est également superviseur-coach d’orthothérapie au campus de Montréal de l’AMS.
Mais qui est Philippe-Olivier Jasmin? Une partie rêveuse, un soupçon de zèle et de perfectionnisme, beaucoup de zen, des esprits de guerriers et de philosophes, et juste assez de sarcasme et d’humour. Partez le malaxeur. Bam! On a un P-O.
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