Il y a quelques lunes se déroulait un cours d’isométrie. Pendant l’expérimentation des élèves avec le relâchement post-isométrique, mon attention fut captée par l’un d’eux. Couché sur la table, il subissait la pratique de son confrère.
Un travail de rhomboïde en abduction plus tard, quelques plis se vallonnaient sur son front, accompagnés de l’expression classique à la fois confuse et songeuse précédant une question.
« Est-ce que c’est normal que je sente tirer de l’épaule gauche jusqu’à mon occiput droit ? »
Excellente question ! Quel muscle s’insère à l’occiput où tu me pointes ? Le splénius de la tête. Félicitations ! Tu viens de découvrir une section de la chaîne musculaire spirale.
« C’est quoi une chaîne musculaire ? »
Être témoin d’étudiants curieux se faisant aller les méninges avec leur curiosité ne cesse de me fendre le sourire jusqu’aux oreilles. Ça me fait briller les yeux comme un enfant oublié dans un magasin de bonbons.
Installe-toi confortablement. P-O va te raconter une histoire.
« C’est quoi une chaîne musculaire ? »
Jadis, il y a bien longtemps en 1949, une kinésithérapeute française nommée Mme Mézières structura la notion comme suit : « Il s’agit d’un ensemble de muscles polyarticulaires, de même direction et dont les insertions se recouvrent les unes sur les autres à la manière des tuiles sur un toit. »
Deux éléments attirent l’attention : il semble y avoir une direction, littéralement un sens. Et, il y a aussi la présence d’une manigance impliquant des insertions.
Intéressant… Néanmoins, l’évolution effrénée des thérapies manuelles a redéfini à maintes reprises le concept pour l’adapter aux connaissances qui ont depuis surgi.
Petit rappel ou spoiler warning : ton manuel d’orthothérapie affiche la définition suivante :
« Une chaîne musculaire est un ensemble de muscles reliés physiquement entre eux par leur fascia et fonctionnellement par leurs actions dans les différents plans de l’espace. »
Bref, une chaîne musculaire reflète l’ensemble des synergies et phénomènes compensatoires impliquant différents muscles.
Quelles variables de cette deuxième définition peux-tu souligner? Fonction et fascia.
À ce sujet, accompagne-moi sur un terrain qui t’est familier, la fonction.
Corrélations fonctionnelles d’une chaîne musculaire
Ne te complique pas la vie; le thème fonctionnel d’une chaîne musculaire implique simplement la relation agoniste/antagoniste.
Logiquement, si un muscle se fatigue ou devient dysfonctionnel, ses mouvements devront être compensés par d’autres muscles agonistes pour assurer la fonctionnalité.
À l’inverse, un muscle prisonnier d’une contraction excentrique par son antagoniste se lassera d’être à bout de bras, s’épuisera, deviendra hypertonique et de mauvaise humeur, et permettra la dysfonction.
Imagine un souk à la corde. Si tu décides de moins tirer, il est logique qu’un ou des membres de l’équipe doivent forcer davantage afin que, collectivement, la même force soit déployée.
À l’opposé, si l’autre équipe tire davantage, tu dois suer un peu plus si tu ne désires pas être entraîné par leur traction.
Et la pauvre corde là-dedans ?
Corrélations anatomiques d’une chaîne musculaire
Ah ces fameux fascias. La corde. On te le martèle dans la tête : l’orthothérapie a une approche holistique. Le corps est un tout. Toute division n’est qu’un coup de scalpel ; conceptuel. Le fascia est un rouleau de saran wrap déroulé reliant sans interruption le corps en entier.
Puisque tu es massothérapeute, ton intérêt devrait se porter sur les fascias profonds, surnommés fascias musculaires. Bref, le fascia aponévrotique et le fascia épimysial.
Quel est le lien avec les chaînes musculaires? Mets ton casque. Effectuons un rappel d’anatomie 101 sur les fascias aponévrotique et épymisial.
D’abord, le fascia aponévrotique emballe plusieurs muscles, les agglomérant en package deal pour former les différents compartiments du corps. Il sert aussi de large tendon commun partagé par plusieurs muscles. Quelques classiques : le fascia lata, l’aponévrose thoracolombaire et l’aponévrose abdominale.
Ensuite, l’épimysium recouvre plutôt chaque muscle individuellement. La relation devient bien plus intime alors que son périmysium infiltre le ventre musculaire et son endomysium se lie avec chaque fibre musculaire.
Prêt ? Let’s go, on part.
Propriétés mécaniques du fascia
Observons les propriétés mécaniques des fascias profonds.
Premièrement, ils contiennent peu de fibres élastiques (moins de 1 % pour les aponévroses). Les fascias, surtout aponévrotiques, démontrent une courbe de contrainte-déformation non linéaire. Si je tire sur mon fascia, il se laisse d’abord étirer jusqu’à une déformation d’environ 4 %.
Ensuite, la contrainte du fascia évolue avec une belle région linéaire, c’est-à-dire que le stress subi par la structure est proportionnel à ma traction.
Éventuellement, rendu approximativement à 12 % de déformation vient la fatigue progressive où le fascia recommence à se laisser étirer dû aux dommages encourus aux fibres de collagènes et à sa déformation plastique.
Bref, si je tire légèrement sur le fascia, la tension sera d’abord absorbée par celui-ci. Si je continue de tirer pour prendre tout le lousse qu’il me donne, la tension sera alors transmise par l’entremise du fascia. Et si je tire abusivement, l’élastique me brise au visage et ne véhicule plus la tension.
Deuxièmement, les fascias montrent une résistance à la traction vis-à-vis des charges multiaxiales et sont anisotropes, c’est-à-dire que ses propriétés dépendent d’une direction. Comme par hasard, leurs fibres s’orientent dans le même sens que les fibres musculaires. Je sens un complot…
Troisièmement, laisse-moi te dévoiler une ironie de la myologie : un muscle ne s’insère pas dans un os. Du moins, pas directement. Le tendon s’insère plutôt dans le périoste qui se veut une continuité du tissu conjonctif. De plus, tout muscle s’insère dans ce qu’on appelle une expansion myofasciale, c’est-à-dire qu’il s’insère dans du fascia aponévrotique, ou encore plus fou, dans d’autres muscles ! Mind. Blown.
Où tout ça nous mène
En résumé :
• Le fascia transmet facilement la tension qu’il subit ;
• Les fibres du fascia sont dans le même sens que les fibres musculaires ;
• Les muscles et le fascia profond ne peuvent agir indépendamment de l’autre.
Vois-tu où ça nous mène ? Les fascias profonds sont des autoroutes à tensions. Ils absorbent très peu la force que je leur fais subir, la transmettant promptement au restant du réseau. Les anatomistes peuvent pincer et tirer sur le fascia pour simuler une contraction musculaire. Le résultat ? Une merveilleuse ligne de tension apparaîtra le long de la chaîne musculaire. Un peu comme une mouche luttant dans une toile d’araignée sera ressentie dans l’entièreté de la toile.
Fin.
Mais à quoi ça sert ?!?
Connaître ses chaînes musculaires te rend apte à faire de la magie. Du moins, c’est ce que les clients affirment. En effet, toute problématique musculaire évolue en pattern. Définis les variables de ton équation pour ensuite trouver quelle corrélation est impliquée. Tu effectues une lecture anatomique du système musculosquelettique afin d’y déceler un effet corrélatif, un effet domino ou une conga line*.
Des maillons formant une chaîne, toute variable affectant un chaînon spécifique peut être transmise à ses confrères comme un virus infecte et envahir un organisme. La chaîne propagera la mauvaise humeur d’un muscle, sa dysfonction, ses tensions déployées et sa synergie autant dynamique que fonctionnelle.
Dans le fond, tu peux approcher tous les muscles distincts d’une chaîne musculaire comme un seul muscle. De ce fait, ton approche thérapeutique clinique bénéficie d’être supportée par tes connaissances des chaînes musculaires de trois façons :
• Tu gagnes du temps parce que, comme par hasard, tu mets le doigt rapidement sur le bobo simplement parce que tu sais où chercher. En plus, tu n’en perds pas à suivre aveuglément tes tensions ou à jouer aux devinettes ;
• Tu peux efficacement démanteler le mécanisme sous-jacent à la problématique ;
• Tu évites davantage la récidive en t’assurant qu’un mécanisme aggravant ne te sabote pas en t’assenant des coups derrière les genoux.
En résumé
Comprendre le concept de chaines musculaires t’aide à imaginer l’autoroute empruntée par les tensions de ton client. Tu dois travailler l’épaule au complet parce qu’il a trop attendu avant de consulter? Chaîne musculaire. Les tensions dans sa hanche ressortent du côté opposé dans dos ou son autre hanche? Chaîne musculaire. En effet, c’est comme jouer à whack-a-mole en pouvant prédire où la taupe va surgir. Ou compter les cartes au blackjack.
Néanmoins, d’un point de vue personnel, l’objectif final n’a point changé : devenir une awesome machine de guerre efficace qui se démarque et qui inspire crédibilité et confiance.
* Une conga line est une forme de danse dérivée des carnavals cubains qui consiste en une ligne de danseurs qui se tiennent l’un derrière l’autre par les hanches ou les épaules.
Philippe-Olivier Jasmin, collaborateur AMS
Orthothérapeute clinicien MQ, il œuvre depuis 2007 en clinique multidisciplinaire et en clinique médicale privée. Il est également superviseur-coach d’orthothérapie au campus de Montréal de l’AMS.
Mais qui est Philippe-Olivier Jasmin? Une partie rêveuse, un soupçon de zèle et de perfectionnisme, beaucoup de zen, des esprits de guerriers et de philosophes, et juste assez de sarcasme et d’humour. Partez le malaxeur. Bam! On a un P-O.
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